« 16 saisons ».
Alexandre Vialatte, le plus allemand des écrivains auvergnats, disait de l'Art qu'il est "le folklore d'un pays qui n'existe pas".
Marie-Pierre Arpin la plus auvergnate des peintres françaises vivant en Allemagne, connaît apparemment bien ce pays.
Elle en revient tout juste avec de nouvelles peintures.
Ses bagages sont pleins de surprises et de souvenirs plus étonnants les uns que les autres.
Elle y est restée seize saisons, le temps de bien s'imprégner de tout ce qu'on ne ramène normalement pas de là-bas.
Riche de ce voyage insolite, Marie-Pierre Arpin nous présente ses peintures et ses empreintes prélevées ci et là aux confins de ce territoire aux rivages multiformes.
Elle nous ramène des images comme autant d'échantillons attestant de l'existence de cette contrée à la topographie aquatique et au milieu de laquelle coule un fleuve qui à lui seul est toute une histoire.
Elle y a puisé l'écho d'un petit bal perdu agrippé à la rive endormie de ce pays rêvé où des funambules suspendus à la lune rousse pointent les heures d'un cadran invisible et où des bateaux de toutes formes accrochés à des quais brumeux attendent l'Atalante…
Marie-Pierre Arpin a noté méticuleusement que dans les reflets argentés de la résine des arbres en forme de larme de tortue, sirupeuse et lourde, pouvait miroiter l'univers tout entier de ce pays imaginé.
Des danseuses aux pieds nus virevoltent comme les sorcières du livre d'Hénoch avant d'engendrer des géants, des fleurs champêtres aux couleurs de feu poussent dans les champs aux environs…
Elle nous parle d'un amoncellement de pots en terre et nous dit qu'il s'agit là-bas d'un château d'eau, tout est de cette trempe…
Sous couvert d'étude, elle nous présente les traces d'un monde que nous connaissons pourtant très bien, du moins le croyons-nous…
Le monde qu'a vu Marie-Pierre Arpin est bien le nôtre - rassurons-nous - le fleuve dont elle tire tant d'énergie est le Rhin, le Rhin mythique, la vallée héroïque et ses châteaux du Moyen-âge, la casquette de capitaine de l'oncle Hans, la Lorelei et ses bateliers naufragés, les légendes teutonnes, le crapaud sonneur qu'on n'entendra bientôt plus si rien ne change, la Mer du Nord et le Plat Pays, la chute de l'empire romain, la ligne Siegfried et celle de Maginot, le Vater Rhein, l'orvet "Anguis fragilis", le vin des romains, le vin des allemands, le romantisme sépia et la poésie de Heinrich Heine, la Ruhr, le Dampfer Goethe de la Köln-Düsseldorfer, le pont de Remagen, les filles du Rhin, les bancs de sable et les Goldgründe qui brillent de mille paillettes du fond du fleuve et le rocher de Breisach qui passa en 1296 de sa rive droite à sa rive gauche…
Cette fille de l'Oued Cheliff nous conte le Rhin comme personne ne nous en avait parlé auparavant. Il est beau, calme et conduit partout ailleurs… De ce Rhin magnifique dont elle nous rapporte les traits, Victor Hugo écrivait en 1842 : "Il y a toute l'histoire de l'Europe dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France dans un murmure profond qui fait rêver l'Allemagne. Le Rhin réunit tout"
Le Rhin, tel qu'on peut le comprendre un matin d'hiver sur la digue du côté de Kehl dans le Jardin des deux rives ou sur la berge non loin de Königswinter quand le givre est dur comme de la glace, que le silence lui-même est gelé et que la masse de l'eau froide et ténébreuse du fleuve glisse comme une baleine sous une péniche remontant lentement vers le Nord…
N'en doutons pas, Marie-Pierre Arpin exploiterait volontiers le limon du Rhin s'il se mélangeait aisément avec les ocres qu'elle aime employer.
Au fond du fleuve, les galets roulent et dessinent dans la nuit aquatique une nouvelle Carte de Tendre…
Franck DAUTEL (juillet 2008) |

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